Pierre-Antoine Cousteau – Après le déluge

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Pierre-Antoine Cousteau
Après le déluge


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Le 23 novembre 1946 un grand monsieur glabre, revêtu d’une ravissante robe rouge agrémentée de lapin blanc m’annonça assez sèchement que j’étais condamné à mort.
C’était déplaisant, mais c’était sérieux. Très sérieux. Je ne connais rien de plus sérieux que des canons de fusil convenablement orientés.
Cinq mois plus tard, un petit monsieur glabre - mais sans robe, celui-là - vint m’informer dans ma cellule que, tout bien réfléchi, la République ferait l’économie de ses douze balles et que ma peine était commuée en travaux forcés à perpétuité.
C’était plaisant. Mais ça n’était pas sérieux. Plus sérieux du tout. Avec cette « grâce », on retombait lourdement dans les fariboles. Le langage de mes tourmenteurs avait cessé d’être plausible. Je pouvais croire à la réalité du peloton d’exécution. Je ne pouvais pas croire à ma « perpétuité » : à moins d’endosser la bure à un âge très avancé, on finit bien par sortir du bagne. Et généralement, lorsqu’on en sort, on ne dégouline pas de miséricorde.
Imagine-t-on d’ailleurs système répressif plus saugrenu ? Car il peut être raisonnable - cela s’est toujours fait avec plus ou moins d’hypocrisie et de discernement dans les sociétés policées - de supprimer physiquement des adversaires. Et il est sans doute encore plus raisonnable de les rallier ou de les neutraliser, à l’heure du triomphe, en s’abstenant de leur faire des misères. Mais il est tout à fait déraisonnable, il est proprement démentiel de tourmenter des vaincus avec lesquels tôt ou tard il faudra de nouveau compter.